Unlocking the air, couverture de ZARIEL
En 2010, je suis éditeur. Lors d’une période
difficile, je bénéficie d’une opportunité, éditer le livre qui me semble :
juste, utile et nécessaire (du moins à mon point de vue), ce sera : « Pêcheur de la mer Intérieure ». C'est pour moi une épreuve lumineuse, d’autant plus qu’Ursula Le Guin, qui me
connaît par quelques échanges de courrier, me propose de répondre aux
questions que posera la traduction. Pour chaque nouvelle, la traductrice et moi nous mettons d'accord sur la liste des points problématiques. Je me charge des échanges, et, bien que ce soit un peu angoissant, dans ses réponses, Ursula K. Le Guin se montre enjouée, souple et bienveillante.
C’était en 2009, et il se trouve que c'est le dernier recueil de nouvelles traduit en français de son vivant. Le recueil a
connu un excellent succès critique, et l’intérêt du public ne s’est jamais
démenti.
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Il y a trois ans, à l’initiative de la
traductrice, Anne-Judith Descombey, j’accepte de lancer une nouvelle
traduction. « Mais tout
avait bien changé », comme dit Brassens, Ursula K. Le Guin,
décédée, je perds cette bienveillance qui nous avait guidés. Au contraire, j’accumule les
courriers hautains, méprisants, mensongers même… et tout se noue pendant la
convention de science-fiction qui se tenait à l’Isle-sur-la-Sorgue, avec juste un téléphone portable et aucun document sous la main.
L’assistante de l’agent français m’ayant affirmé
que Jérôme Vincent détenait les droits du recueil que je désire éditer, je
prends contact avec lui. Le mensonge une fois dissipé, pour moi, l’affaire est entendue, c’est fini.
Un mois plus tard, Jérôme Vincent me recontacte et m’invite à détailler mon projet. Il me fait part de son
intérêt, je lui propose même de l’éditer, mais il passe à la vitesse supérieure en
m’annonçant son engagement sur la traduction d’un inédit.
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Il faut attendre que les droits soient réservés,
qu’une nouvelle équipe de traducteurs rejoigne l’équipe, Hermine Hémon et Erwan Devos, une responsable
éditoriale, Gaëlle, un illustrateur, Zariel et moi comme directeur de collection. Tout au long
de 2021, notre confinement est égayé par ces dix-huit nouvelles, un bain de
jouvence. L’édition est une longue patience, entrecoupée de périodes furieuses,
où il faut travailler d’arrache-pied, couverture, échanges avec les
traducteurs, correctrice, correction de la correctrice, écriture d’une préface, listes en pagaille, puis une quatrième de couverture sur laquelle je m'arrache les cheveux.
UNLOCKING THE AIR, dix-huit nouvelles d’Ursula K.
Le Guin, avec la surprise, par exemple, de découvrir ici une série
de saynètes illustrant les formes des familles modernes, là des réflexions sur
la vie, le féminisme, et ailleurs, des récits fabuleux, comme les Anciens et Le Braconnier.
Enfin, la perle sur le gâteau : j’ai participé à la somme réalisée par David Meulemans (« Ursula K. Le Guin, de l’autre côté des mots ») avec, en particulier, une analyse d’un recueil : « Chroniques Orsiniennes ». Or la
nouvelle qui donne son titre au recueil, « Unlocking the air » (la
Clef des airs) se révèle être le prolongement d’Une semaine à la campagne. Écrite en 1976, la nouvelle décrit l’assassinat
du meilleur ami de Stefan Fabre par la police politique au début des années 60.
Je retrouve ce même Stefan Fabre, mais en 1989, chercheur sans le sou, désabusé, replié sur
lui-même, une vie gâchée par trente ans de répression, soudain entraîné par de jeunes gens qui lui expliquent que
le monde est en train de changer…
De l’espoir à la terreur, aujourd’hui, l'actualité nous rappelle que le message
fluctue, mais le besoin d’espoir ancre notre futur… et c’est toute la grâce d’Ursula
K. Le Guin, que de nous inviter à en sourire avec elle…